LE HUBLOT
Un œil dehors pour soigner son intérieur
Le poète, en recouvrant nos légèretés épidermiques d’un voile de profondeur ontologique ne risque pas d’être adoubé par les serre-cravate, les débouche-champagne, les magasiniers, les bouffe-caviar, les cireurs de pompes, les Vendeurs-Représentants-Placiers que sont devenus nos dirigeants de tout col. Car il faut une dose certaine et irréductible d’aléatoire, de flou, de mensonge, d’aveuglement alliée à une atopie irréversible au genre humain pour vendre des armes à n’importe qui et traiter des Hommes n’importe comment.
Et le poète est loin d’adopter ces comportements.
Nous avons donc là deux catégories qui se côtoient sans se frotter. Car même pour un affrontement, il faudrait au moins la plus fine des ficelles à partager pour tirer dessus chacun de son côté.
Mais que nenni !
L’opposition dans l’inertie et l’observation est ainsi de rigueur !
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Tarmac est inspiré de faits réels provoqués par une lecture irréductiblement abusive de fictions poétiques. Ces dernières servirent à la prolongation d’instants dont la réalité restait constamment à creuser. Nombre de puits furent ainsi créés pour mettre à jour une véracité que seule la poésie était capable de faire jaillir.
Abreuvez-vous, les sources sont fraiches et vives, et propres à redonner corps aux corps les plus suspendus à une réalité écrasante.
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Une manière de dire «non» à la barbarie sous toutes ses formes qui se débat à nos portes, et, même si la poésie ne sert à rien d’autre, laissons au moins cette empreinte d’une mémoire de ces Hommes qui refusaient la violence, les armes et la terreur ; laissons au moins des traces qui prouvent que nous n’étions pas d’accord. Disons que tout cela n'est pas une norme ni une fatalité, d'autres voies sont possibles.
Parce que se donner du mal pour les petites choses qui paraissent vaines nous mène parfois aux grandes qui ne le sont pas.
L’inutile n’est qu’une charnière.
Rien de pire que le silence.
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Avant que ça continue, avant que rien de réellement important continue à passer, à passer pour rien, vers le rien, sans ne rien changer, sans bouger, vers personne ; avant que les choses restent des choses et les corps à terre des corps à terre, avant que ça continue : Lisez.
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Le travail tient dans la longueur des nerfs. Offerts à toute dent, les nerfs. Alors, tout le monde y va de son coup de croc tant que ça travaille. Faut se servir tant qu’on peut. Tant que ça peut tenir la longueur. Et puis ça se ratatine, ça ratatine, ça se réduit à si peu que le nerf qui reste vous claque aux yeux comme un vulgaire élastique, et puis plus rien. Plus rien à Faire. Rien. Si ce n’est la littérature pour donner forme à tout cela.
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Tous les mots ne passent pas par la langue.
Certains, primitifs, sont agglomérés derrière le cerveau.
Et à force de les oublier, ils surgissent au détour d'une idée, avec des revendications qu'on ne peut plus assumer seul.
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Ce comportement de promotion de soi et d’économie de l’autre en vue d’un profit pour un enrichissement personnel…
Ainsi, l’autre est devenu « utile »… et rien d’autre.
Alors, la poésie, l’art et la philosophie doivent permettre de se défroquer des frontières de l’utile :
L’utilité étant devenue une « norme » sociopolitique, le geste inutile devient alors révolutionnaire, il devient le mouvement de l’intime qui sort de la prison de la fonctionnalité imposée.
Rien ne sert de penser à l’autre ?
Alors allons-y ! Tendons-lui tous nos bras… et pour rien !
Nous grandirons comme personne !
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Cachée dans une réserve lointaine entourée pas les Hommes aux poches pleines et aux cravates bien nouées, nous, tribu Tarmac, nous tenons à partager avec vous le souffle qui fait frémir la plume ainsi que les éclairs de cet orage permanent qui nous aveugle tant.
Là où est votre tête, nous sommes à notre place.
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Résistez au lavage de cerveau, à la haine et à l'ignorance!
La poésie n'est pas une promesse, elle concrétise la singularité, la diversité et permet de les unir dans un élan collectif vibrant d'échange et de partage s'offrant ainsi la gourmandise de prendre l'étrange et l'étranger comme les garants de questionnements et d'évolution culturelle.
Donnez tort aux bourreaux : Infligez-vous la peine de vie!
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Entendu cette nuit parmi des bruits de casseroles, d'avions, de bottes, de grelots, d'incantations vaudou et de déchirements de cœurs, parmi l'émergence de poings serrés, de têtes basses, d'idées non reçues, de claviers en bois, entendu cette nuit :
" Il faut trier les ordures
Il faut trier les ordures
etc..."
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Aujourd'hui, je passe sans me voir, je tourne le dos quand je m'aperçois, je ne m'observe même pas, je m'ignore.
Mais cela deviendra vite insupportable (il faut toujours en arriver à l'insupportable), je finirai par me tendre la main et me ramener vers un état de forme qui me permettra d'assumer mon état de décrépitude.
Alors les autres
Les mots, les onguents
A bras ouverts, la poésie !
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Écrire le corps pour lui rendre sa liberté d'impression
Écrire pour tenir les yeux écarquillés
Un repris de conscience.
Dans un étourdissement, je réalisai que le jour de rédiger le Procès-verbal de L’Assemblée Générale Ordinaire annuel de l’association à but non lucratif était arrivé. Je me pris alors de réunir tous les membres de la joyeuse équipe et je me retrouvai ainsi face à moi-même. Moi-même leva alors la main et la voix pour ouvrir la session. Je me reteins de rire afin de ne pas passer pour un je-m’en-foutiste et pris pour tâche de me concentrer. Je ne me retenais déjà plus quand moi-même me demanda le relevé de référencement de tous les actes de facturation aux libraires, bibliothèques et médiathèques. Soutenant qu’il n’avait jamais été question de ce référencement dans l’assemblée Générale Constitutive, je me mis en accord avec moi-même et nous passâmes le torchon avec un serrage de mains fraternel. S’ensuivirent quelques farces, histoires et plaisanteries dont la verve aurait fait rougir Audiard lui-même mais surtout dont les propos auraient poussé à se pendre le plus haut des fonctionnaires. Outre les yeux en cul-de-bouteille du voisin collé à sa fenêtre, personne ne se doutait qu’une réunion au sommet était en cours, et encore moins moi-même qui commençait à me devenir de plus en plus familier.
J’attrapais alors le taureau par les cornes dans un beau lever de conscience, je repris pleinement possession de moi-même. Il n’était donc aucune raison valable pour perdre mon temps avec des chiffres que personne ne lirait.
Je tentai alors de retourner à mon bureau, la chaleur était intense, des gouttes de sueurs parcouraient mes lunettes, le sol fraichement lavé glissait juste ce qu’il fallait pour en mourir les fers en l’air, je mis une main sur le dossier de mon fauteuil quand un hurlement perça l’air déjà si épais, j’appuyai tout mon corps sur le dossier avant de me tourner vers l’assise éloignée de quelques immenses centimètres, pas une brise de vent, la fenêtre fermée… et dans un dernier sursaut, je m’écroulai dans le fauteuil de travail et sentis quelques vibrations vitales prendre possession de mon corps quand je mis la main sur la souris de l’ordinateur et j’escaladais petit à petit par ce fil jusqu’à l’écran sauveur.
Celui-ci m’ouvrait enfin le monde qui donnait toute sa consistance au mien : le lien avec mes manuscrits et les auteurs.
" Il y a un impossible entre ceux qui manipulent le monde et ceux qui le disent. "
Edouard Glissant
Que faut-il dire aux boursouflés, à ceux qui gonflent leurs voilures en grattant la richesse des autres, à ceux qui se vendent pour le pouvoir, à ceux qui ne naissent pas nus ?
Que faut-il faire pour qu’ils cessent d’enfler jusqu’à en éclater et nous chier leurs besoins et leurs bourres ?
Que faut-il lire pour savoir comment ça cesse ?
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